"La bibliothécaire" Vous écoutez Déferlante, podcast provocateur... de plaisir. Je vous ai manqué? Un peu, beaucoup, énormément? Nah, j'y crois pas, balivernes! En tout cas, ça me fait drôle de susurrer à nouveau des mots délicieux dans vos oreilles. Mais j'implore votre indulgence: ça fait 6 mois que je me tais. Alors, gloups, mais si si si! j'ai le trac. J'ai le trac d'autant plus que ce soir, je vous présente une très jolie plume. Merci de tout coeur à l'auditeur (il se reconnaîtra) qui m'a fait découvrir ce texte de Charlotte Cocci. Elle écrit merveilleusement bien. Vous verrez, ce récit pfff c'est un peu coquin, un peu vilain, c'est beaucoup trop bien! Et d'ailleurs, chers auditeurs, si vous voulez conseiller des nouvelles plumes, n'hésitez pas à m'en parler. Mais revenons à notre épisode dont la trame sonore est, une fois de plus, magistralement réalisée par le seul et unique (tambours) Samuel Mazzotti. (aaahhh, merci à lui) Allons-y... euh? comment? quoi? Mais oui, les coquins-vilains, vous m'avez manqué! Un peu? Beaucoup? M'enfin, c'est quoi ça, comme question? Un peu de sérieux. Bon, allons-y pour ce nouvel épisode. *** C’était un couple de quadras comme on en croise des dizaines dans les cinémas d’art et d’essai. Elle portait un collier en argent et un bracelet d’ambre, lui, une corde de cuir fermée par un symbole d’infini. Il était grand et fin, elle était pulpeuse et très jolie. Il était probablement ingénieur et elle responsable de "business unit". Monsieur et Madame Bobo Parisien. Avec un zeste de piment. Cela faisait plusieurs samedis que j’observais leur manège. Je m’appelle Charlotte et j’ai 46 ans. Je suis bibliothécaire dans le Quartier Latin. Je m’occupe des ouvrages anciens dans une très vieille institution. Je ne passe pas inaperçue avec mes robes léopard et mes chignons rétro, mon nez chaussé de lunettes aux couleurs improbables et mon corps harnaché de lingerie qui fait pigeonner mon 105 D. Pourtant, ces deux-là font mine d’ignorer ma présence. Ils arrivent à l’ouverture, quand la bibliothèque est encore déserte. Ils sortent des rayons deux exemplaires de ce recueil relié de cuir vert. Elle s’installe avec le sien dans le coin lecture, sur un des fauteuils bas. Lui, il reste debout derrière un pupitre, une vingtaine de mètres plus loin. Ils semblent ouvrir chacun leur recueil à la même page. Ses lèvres à elle bougent quand ses yeux parcourent le texte. Son regard à lui navigue du grimoire à sa compagne. Il ne la quittera pas des yeux. La troisième fois que j’ai repéré leur manège, j’ai voulu en avoir le cœur net. Savoir ce qu’ils lisaient chacun de leur côté. Le logiciel qui recense tous les ouvrages m’a alors appris, sans aucun doute possible, qu’il s’agissait d’un recueil érotique scandinave, datant de plus d’un siècle. Pour découvrir son contenu, je l’ai emprunté en semaine, sur mon temps de midi. Le moins qu’on puisse dire est que... j’en ai eu pour ma curiosité. Il s’agissait de la traduction en français d’un recueil de lettres écrites par une femme à un homme. La narratrice faisait profession de fille de joie. Une ancêtre des "escort girls" de nos jours. Très haut de gamme. Ne vendant son corps que dans la soie et l’opulence. Issue d’une famille très conservatrice, elle était devenue orpheline à 18 ans et avait - sans que les lettres n’expliquent pourquoi - profité de son drame familial pour vivre une vie que ses parents n’auraient sans doute pas permise. Elle était devenue une déesse vivante de luxure. Par convenance, elle avait épousé un notaire plus âgé qu’elle qui fermait les yeux sur sa vie dissolue. Qu’elle lui contait par le menu dans des lettres qu’elle lui adressait chaque jour. Ce recueil épistolaire était un traité de candaulisme ancien. Chaque missive était un scénario obscène, qu’elle racontait à son notaire de mari. Avec force détails graphiques et décomptes de prestations. Comment le couple de bobos contemporains avait découvert l’existence de ce recueil ancien ? Je l’ignore. Toujours est-il... qu’ils avaient intégré ce magnifique texte érotique à leur jeu complice. Ils lisaient ensemble le texte. Elle, appliquée à prononcer les mots et lui , l’observant à la dérobée. Il ne m’avait pas échappé qu’elle profitait de l’absence de fréquentation pour se caresser discrètement pendant sa lecture. Ses jambes étaient largement plus écartées que la décence ne le recommandait et sa main venait se nicher là, entre le livre posé sur ses genoux et son ventre. L’ourlet de sa robe prestement remonté, je discernais l’agitation de son bras et le rouge sur ses joues. Elle se branlait en lisant en public et... il me regardait de loin. Leur manège durait à-peu-près une heure tous les samedis. Parfois d’autres – rares – visiteurs venaient déranger leur exhibition. Elle se cachait à peine, mais personne d’autre que moi ne semblait remarquer l’indécence folle de cette brune racée et de son voyeur de compagnon. Au bout d’une dizaine de semaines, un samedi matin, le couple ne vint pas réclamer leurs deux exemplaires de "Lettres à un notaire de Stavern". La femme s’avança seule au comptoir, il restait en retrait les bras croisés, un drôle de sourire sur le visage. « - Bonjour Mademoiselle. Je cherche un livre dans le même genre que… » Elle ne finit pas sa phrase, mais me regarda avec un air bravache. « - Vous savez… » Elle reprit son souffle, rougit considérablement, et continua: « - J’ai pensé que vous pourriez me montrer la réserve. Aller chercher un registre ancien en double exemplaire sur le haut d’un rayon? Vous nous avez suffisamment observés, mon mari et moi, ces derniers samedis. Il a vu combien vous étiez excitée par mes cuisses entrouvertes et mes caresses osées. À notre tour de profiter de la vue imprenable qu’il doit y avoir sous votre jupe patineuse quand vous êtes perchée en haut d’un escabeau ». Il m’est difficile de décrire mon état d’esprit quand elle me fit entendre sa tirade. Je me sentais joyeusement prise au piège. Ainsi donc, ils savaient depuis le début que je les observais ?! Ainsi donc, ce que j’avais pris pour un jeu à deux m’incluait aussi ?! J’avais l’impression d’avoir été à la fois bernée et devinée. Roulée gentiment dans la farine par deux joueurs encore plus tordus que moi. Je n’avais aucune peur. Aucune gêne. Juste au moment où elle me fit cette proposition indécente, j'étais excitée "summa cum laude". Je me disais qu’il était temps de ne plus rêver ma vie mais de la vivre, joyeusement. Je répondis alors du tac au tac, en tremblant un peu, mais sans l’ombre d’un regret : « - Aah, si vous voulez bien me suivre, la réserve se trouve à l’étage supérieur. Son accès est strictement réservé aux personnes habilitées. » *** Merci d'avoir écouté Déferlante, le podcast érotique de vos récits... tellement sexy.